" Morale paysanne " TA...TA...TA... TAM... N°214

Morale paysanne

            Un riche laboureur (1) - qui avait des lettres –, sentant sa mort prochaine, fit mander, à son chevet, son fiston, afin faire à celui-ci, façon La Fontaine, la leçon : Garde-toi, gamin, lui dit-il, de vendre l’héritage que nous ont laissé nos parents. Un trésor est caché dedans… Le fiston, malgré le tragique de la situation, sortant de ses gonds, coupa aussitôt l’herbe sous le pied de son géniteur, que guettait pourtant la faucheuse : « Arrête ton tracteur, Papa !… Ce coup-là, on ne me le fera pas… Aujourd’hui, ce sont les fonds qui manquent le plus ;  on parle de nous comme on le ferait d’assistés : primes, subventions, bataille de chiffonniers avec les escrocs de la grande distribution… Où en sommes-nous ?… A acquérir tout un matériel de plus en plus sophistiqué : nous croulons sous les crédits… A répandre des tonnes et des tonnes d’engrais chimiques, de pesticides, à engraisser l’industrie chimique pour, finalement, nous voir accusés de tous les maux, en particulier de favoriser le développement des algues vertes, de polluer ainsi les littoraux : le ver et les Verts sont dans le fruit de notre travail… On est tributaires des fluctuations des cours mondiaux des céréales… Alors on  suit des cours accélérés d’informatique et l’on passe des heures, comme de vrais traders,  devant nos ordinateurs… Tout ça pour, en définitive, aller déverser des tonnes de fumier devant des préfectures et des centres des Impôts, se poster aux carrefours stratégiques afin d’intercepter les camions étrangers, répandre leur contenu sur la chaussée pour l’écraser, en même temps que la concurrence… Coiffer des bonnets révolutionnaires rouges, guetter les humeurs de la grenouille et la position de l’ « anticyclown Désaccord »… Et après ça, pour nous consoler, on essaie de nous faire croire que Le bonheur est dans le pré… (2) Dans le prêt, oui !… Que Karine Lemarchand (3) rêve de nous épouser et, équipée de cuissardes, va nous aider à traire les vaches et à donner à bouffer aux cochons…

             Un jour, Papa, t’as croisé le Fernand… (4)  Souviens-toi, il t’avait bien prévenu : Ça eût payé, mais ça paye plus ! Tout le monde a rigolé quand il a sorti ça, le Fernand ! Là, on nous propose une « drone » d’idée : surveiller les champs avec des avions miniatures téléguidés… ils nous auront tout fait avaler…Vois-tu, t’es gentil, Papa, avec ton La fontaine, mais je te jure qu’on ne m’y reprendra pas… J’vais vivre en ville, y faire mes choux gras…

            Dans un dernier souffle, le père, somme toute heureux de quitter ce monde-là, lui lâcha : au fond, t’as peut-être raison, fiston,  y a plus d’morale dans tout ça …

                                                                                        Hagnéré Jean-François ( 20/12/2014)

(1)  Cela est une fiction…

(2)  Titre d’une émission champêtre de télé.

(3)  Présentatrice de la sus-dite émission

(4)  Fernand Raynaud, le sketch : « ça eût payé… »