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Notes discordantes sur l'époque
22 novembre 2017

" La Clé..." TA...TA...TA...TAM... N°388

La Clé

            Été 1970. mon amie – future épouse - et moi sommes en route, à bord  d’une R4L, vers le Pas-de-Calais, plus précisément Étaples-sur-mer, ma ville natale. Ce jour-là, il fait beau et chaud lorsque nous arrivons dans Charleville-Mézières, cité ardennaise dans laquelle nous avons décidé de faire une étape « Rimbaud » qui me tient à cœur. Le dormeur du val, le troublant Voyelles, souvenirs de lycée, mais aussi le torrentueux Bateau ivre ont été les déclencheurs de mon engouement pour le précoce et fugace poète, le réfractaire, le révolté, un temps l’ami de cœur ombrageux de Verlaine.

             Après avoir retenu une chambre pour la nuit dans un hôtel carolomacérien, nous nous mettons dans les pas de celui qui deviendra l’homme aux semelles de vent. Visite de la ville commencée par la Place Ducale avec ses arcades et la statue de Charles de Gonzague. Goudronnée lors de notre passage, elle sera repavée en 1999 et interdite à la circulation automobile, ce qui ajoute à son charme. Tous les ans elle accueille un Festival de la Marionnette mondialement réputé. Rimbaud n’a pas aimé sa ville, mais «  Charlestown », comme il l’appelait, ne lui en a pas tenu rigueur. En effet, la réputation posthume et mondiale  du poète, le transformant en un « produit publicitaire » de choix,  fait qu’on  retrouve même son portrait sur les boîtes de chocolat garnissant les vitrines des pâtisseries… Savoureuse revanche du sale môme… Ensuite, visite obligée et très émouvante à « l’ancien moulin », sur la Meuse,  devenu « Musée Rimbaud ». Le long des berges, ce jour-là, sont amarrées deux barques à fond plat qui, « illumination », se transforment aussitôt en bateaux,  rompant les amarres pour gagner le large, ivres d’ailleurs lointains … Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache / Noire et froide où vers le crépuscule embaumé / Un enfant accroupi plein de tristesse lâche / Un bateau fragile comme un papillon de mai…Enfants, à Etaples, mon « petit frère » - Par la suite auteur-compositeur-interprète de chansons patoisantes dont les thèmes sont notre cité et son passé maritime -   et moi faisions flotter des bateaux en papier sur l’eau de « dalos »* courant le long des trottoirs et drainant  les eaux ménagères vers les bouches d’égout… Plus tard, il m’arriva souvent de gagner, à la sortie du collège, solitaire, le bout du quai… De là, assis, je rêvais d’ailleurs enchanteurs, tandis que le soleil couchant prenait un bain à l’horizon de l’embouchure de l’estuaire de la Canche… Déjà, sans le savoir  et sans le talent,  bien entendu, connivence avec Arthur…

             Un peu plus loin, au 7 quai Rimbaud, la maison habitée entre 1869 et 1875 par la « mère Rimb’ » et ses enfants.  Par ordre d’entrée en scène : Arthur, Frédéric, Vitalie – vite disparue – et Isabelle, celle à qui l’on doit la conversion in extremis et douteuse de celui qui grava un jour, au couteau,  sur un banc : Merde à Dieu ! Cette bâtisse est aujourd’hui devenue «  La Maison des Ailleurs »… Le père, Frédéric,  militaire, officier ayant participé à la conquête de l’Algérie, écrivain à ses heures perdues,  cultivait l’absence : une perm, un enfant, une perm., etc. Et après la naissance de la dernière née, Isabelle, disparition du bonhomme…

Les Rimbaud possédait une ferme familiale à Roche, dont il ne resterait aujourd’hui qu’un pan de mur. C’est en ce lieu  que, lors d’un passage, le poète écrira, dans la douleur, la terrible «  Saison en enfer » : A moi, l’histoire d’une de mes folies… Ce texte est le seul que Rimbaud ait décidé de faire imprimer… avec un à-valoir  de « la Mother », avant de se désintéresser de l’affaire. Cette mère parfois généreuse qu’il qualifia pourtant de plus inflexible que soixante-treize administrations à casquette de plomb…

            Passage obligé par le fameux Square, place de la Gare : Sur la place taillée en mesquines pelouses / Square où tout est correct, les arbres et les fleurs, / Tous les bourgeois poussifs qu’étranglent les chaleurs / Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses [ … ] Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames / Auprès desquelles vont, officieux cornacs, / Celles dont les volants ont des airs de réclames… ( A la musique ).

Fin du parcours, le cimetière où repose le poète – retour forcé au bercail -, en compagnie des siens, à l’exception  du père, bien entendu. Vitalie, la mère, caractère bien trempé,  mit un point d’honneur à descendre, aidée par les fossoyeurs, au fond de la fosse afin de vérifier la justesse des emplacements destinés aux membres de la famille. Pré-voyante pour cinq, la maman de celui qui voulait se faire… Voyant.    

 Ce jour-là, Charleville fut pour moi un pèlerinage en lieu saint… Et pas que pour moi… Sont venus s’y recueillir des artistes de la Beat generation américaine, dont Allen Ginsberg et tout particulièrement Patti Smith, poétesse et chanteuse, devenue marraine de « La Maison des Ailleurs ». Récemment elle a aussi racheté la parcelle de terrain où se tenait la ferme familiale des Rimbaud, à Roche, dans le grenier de laquelle Arthur écrivit Le bateau ivre et Une saison en enfer. En fait, le seul pan qui resterait de l’ancienne demeure rimbaldienne serait situé sur le ban d’à côté… Bon, c’est l’intention qui compte, la symbolique du geste. Arthur fut un genre de routard avant l’heure, ce qui n’échappa pas à Michel Delpech qui le recycla et le chanta au cours des années 1960 : Il écrirait sur le vent, sur les murs / Mais aujourd’hui, il chanterait [ … ] Rimbaud chanterait les mains tendues / Rimbaud chanterait le temps venu : Un soleil dans le cœur, un sanglot dans la voix [ … ] Comme un oiseau libre il chanterait… Présence aussi d’Arthur, en bourlingueur,  sur les murs des villes, grâce au dessinateur renommé Ernest Pignon-Ernest… Rimbaud fut aussi, avec Isidore Ducasse, dit Comte de Lautréamont, autre étoile poétique filante, un chouchou des Surréalistes d’André Breton.

             Nos têtes comme bulles pleines de rêves, nous regagnâmes l’hôtel… En soirée, la nuit tombée, un orage éclata… Eclairs et tonnerre frappaient le relief tourmenté des Ardennes…Comme sur la peau d’un tambour, rebondissaient et se répondaient les échos… Un orchestre de percussions… Musique de cirque… Rimbaud ne me lâchait pas… Les yeux ouverts, dans l’obscurité parfois zébrée d’un rai lumineux, je voyais s’écrire la conclusion d’une Illumination d’Arthur : Seul, j’ai les clés de cette parade sauvage… Chacun a sa clé de ce cirque et de cette Parade… Cette nuit-là, pour moi, c’était forcément l’Amour avec un Amajuscule : Amour, Absolu… Les nuits sont aussi  faites pour rêver, non ?…

 

                                                                                         Hagnéré Jean-François ( 13/11/2017)

                                                                             Extrait de Kaléidoscope ou Une egothérapie

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