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Notes discordantes sur l'époque
10 octobre 2014

" L'air du pays " TA...TA...TA...TAM... N°201

L’air du pays

 

            Marion Ciblat – courrier Télérama 3376- a eu une dent dure, celle de Carpentier – En Ch’Ti prononcer Carpintier, un de mes oncles s’appelaient ainsi, ce qui, d’emblée, m’a fait rire -, contre P’Tit Quinquin. Voilà qui aurait pu doucher mon enthousiasme pour l’œuvre décapante, humoristique, décalée, surréaliste de Bruno Dumont, qui prouvait, s’il en était besoin que la chaîne ARTE est bien l’une des plus attractives, proposant des programmes de qualité qui ne prennent pas les téléspectateurs pour des « neuneus ». Bien sûr qu’il y a de la caricature dans cette mini série, que le trait est forcé, mais n’est-ce pas la loi du genre ?

            C’est donc avec un plaisir certain que dans le courrier du N° 3378 j’ai savouré la lucidité et l’enthousiasme de Christine Delvoye-Demolin, ville où habitait aussi « min Carpintier à mi », qui suis né dans un petit port situé à treize kilomètres au nord de Berck-sur-mer.

            Il a tout vu, tout entendu, tout compris et enregistré de cette région, Bruno Dumont : la luminosité particulière des paysages – le bord de mer comme l’arrière-pays -, les bunkers – un fait divers retentissant porta naguère à notre connaissance le massacre, à l’intérieur de l’un d’eux, non pas des « vaches folles » du commissaire, mais de trois gamines de retour, la nuit, d’un bal de Mardi-Gras au Portel -, le patois bien frappé  du littoral, les cérémonies et les discours officiels, les ragots, les cancans, les défilés et leurs fanfares désaccordées, les majorettes jouant du bâton… Seul devant le petit écran, je retrouvais, pour deux soirées, une région que j’avais quittée à l’orée des années 1970… Quel bol d’air frais ! Je riais de me voir si comique en ce miroir, déformant pour l’occasion. Pour apprécier l’humour et se permettre d’en faire sur le dos d’autrui, il faut d’abord apprendre à rire de soi-même, ce qui ne va pas de soi… C’est un long apprentissage.

             Quant aux acteurs amateurs – mieux que des pros –à commencer par le commissaire et son adjoint, poulets élevés au « grain de folie» du coin, genre de Laurel et Hardy de la Côte d’Opale qui perdent pied dans les eaux  - l’inconscient – de la Manche, et ces mômes délurés qui cueillent sur leurs lèvres les fleurs du premier amour… Et tous ces figurants plus vrais que nature, que dire, sinon « chapeau ! » ? Ah, la vache folle, qui rendait chèvre le commissaire : Hein, là on est au cœur de l’enfer, Carpintier  ! je m’en souviendrai du P’Tit Quinquin de Bruno Dumont, le P’tit Gibus du Pas-de-Calais…

 

                                                                                                      Hagnéré Jean-François

                                                                                                          ( 09/10/2014 )

En marge du « P’tit Quinquin » :

            Je me revois marcher le long de la Canche, qui baigne le port d’Etaples-sur-mer, jusqu’à l’emplacement dit alors La plage des pauv’s… Le verdin – végétation maritime qui borde la rivière - proposait aux enfants, à marée basse, ses « trous de bombe » remplis d’eau de mer, piscines occasionnelles, gratuites, dans lesquelles on se baignait en slip… Cris de joie et plongeons des p’tits quinquins, des bons z’ éfants ! Parfois l’un d’entre eux s’entaillait un pied sur un tesson de bouteille, une boîte de conserve vide, des morceaux de fils de fer rouillés, vestiges des guerres mondiales, enfin tout ce que pouvaient laisser traîner là des riverains peu soucieux, en ces temps-là, d’écologie. Le Touquet- Paris-plage, c’était trop loin et, surtout, trop cher, trop chic pour nous… Je me souviens…, comme disait Perec, des kermesses et des ducasses, des processions religieuses et des bénédictions de la mer, des mariages et des communions solennelles qui donnaient lieu, comme disaient les adultes, à des « chauleries »…

             A Etaples, les P’tits Quinquins, ce n’est pas ce qui manquait… Un matin, avant que je prenne le bus pour me rendre au lycée de Montreuil-sur-mer, j’entendis une des célèbres émissions de Pierre Bonte, animateur radio qui allait de ville en ville pour mieux nous  faire découvrir celles-ci. Il était passé par Etaples dont il caricatura drôlement l’image, avançant que le taux de fécondité était « ici  le même qu’en Chine »… En ville, les surnoms étaient chose courante et une famille avait hérité de celui de « chinois », amusant rapprochement… L’animateur mit ce « cœur à l’ouvrage » sur le compte de la consommation de poissons, bénéfique  à l’exercice physique, et à l’absence prolongée des marins retenus en mer la semaine, ce qui décuplait, au retour,  leurs élans sexuels… Il aurait pu aussi penser aux moyens contraceptif peu en vogue à l’époque, surtout dans des milieux catholiques, ou encore à l’apport financier substantiel que constituaient les allocations familiales… Toujours est-il que les bandes de gamins courant par les rues de la ville, que l’automobile n’avait pas conquises, semblaient vouloir lui donner raison… Notre révolution culturelle, pour ma génération et celles qui suivirent, dans une région – côte d’Opale – sans véritable industrie, il faudrait aller la vivre ailleurs… Mais le nord est si attachant pour ceux qui ne se contentent pas de clichés…

            Mon endroit préféré au long de ces années, avant l’envol ? Le port, et plus particulièrement le bout du quai, où, le soir, je m’asseyais, contemplant l’été un soleil de feu décliner à l’horizon, englouti par une mer vorace qui allait le refroidir jusqu’au lendemain matin… La luminosité si particulière, même par temps couvert de ce bord de mer, qui fit le bonheur, donc aussi le nôtre, de tant de peintres…. C’est à cette époque qu’un jour Annette Messager, une des artistes majeures françaises, native de Berck-sur-mer, gagna, à l’aide d’un appareil photo distribué à l’occasion d’un concours par Kodak, un tour du monde – Son tirage représentait des marins ramendant leur filets- qui lui ouvrit l’esprit et l’imaginaire, point de départ d’un fabuleux destin… C’est là aussi qu’a certainement joué, enfant, en vacances chez son grand-père Perrault, patron de pêche, Boulevard de l’impératrice qui donne sur le quai, Mme Lebranchu, ministre… Envies de prendre le large… Ce que je ferai plus tard, sans jamais pour autant oublier mes racines maritimes et ressentir un vif pincement au cœur à chacun de mes retours… En fait, on ne guérit jamais du « mal de mer »… Ici, d’où j’écris ces lignes,  les berges de beaux  étangs me tiennent lieu de leurre…

                        Hagnéré Jean-François ( Extrait de Notes discordantes sur l’époque ou Une egothérapie )                                 

 

 

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